10 MAI 1940, UN JEUNE RACONTE

Le vendredi 10 mai 1940, l'Allemagne déclare la guerre à la Belgique.

Dans la crainte de revivre les déportations de 14-18, les jeunes de 16 à 35 ans sont priés, par décision des autorités militaires, de rejoindre Ypres par leurs propres moyens.

Nous recevons cette communication le dimanche 12 mai, dans le courant de l'après-midi. Après concertation, nous décidons avec les amis, de partir à vélo et fixons le départ au lundi 13 mai à 9h. D'ici-là, il faut vérifier si le vélo est en ordre de marche.

Sitôt la décision prise, maman prépare une valise où elle range couverture, nourriture, vêtements de corps, nécessaire de toilette et cigarettes. Les "au-revoir" sont poignants car nous partons à l"aventure sans connaître notre point de chute. Cette odyssée, loin de chez nous, sans aucune nouvelle de nos familles, se terminera trois mois plus tard.

Ainsi s'exprime Jean Naze ( café ), ( né en 1923 ), dans son carnet de bord intitulé " 10 mai 1940...Un jeune raconte". Notre ami Jean, relate jour après jour, chaque faits et évènements vécus tout au long de ce périple.

Ci - dessous, je vous propose un petit condensé extrait de ce "carnet de bord".

Lundi 13 mai : Départ à 9h. Composition du groupe : Dupont Jean / Seron Alfred / François Félix / Jeannée Joseph / Colignon André / Baquet Joseph / Denil Camille / Germinal Marcel / Goffin Charles / François Jean / Loise André / Debois Joseph / Montfort Robert / Cappe Josep / Naze Jean ( café ) / Naze Jean ( moulin ) / Garot Joseph, tous de Grand-Leez plus Mottet Auguste et Dumont Joseph de Meux, Rappe Adolphe et Noel Marcel de Liernu.

Sur la route vers le cimetière de Gembloux, nous entendons pour la première fois la sirène d'alerte - nous nous couchons dans les talus. Nous voyons les 1ers avions allemeands qui, je crois, ont comme objectif le bombardement de la gare de Gembloux.

Nous traversons ensuite le bois de Vichenet qui regorge de soldats sénégalais, de matériel et de munitions. A Châtelet, nous rencontrons des troupes françaises. Nous logeons à Fontaine-Valmont dans une étable.

Mercredi 15 mai :

le groupe pénètre en Fance au poste frontière de Ostricourt. Sur la nationale, vers Courtrai, nous apercevons dans le ciel des parachutistes allemands. Pas de chance pour ces paras! Ils sont attendus par une colonne de militaires anglais, leurs camions non bâchés sont équipés de mitrailleuses avec leurs servants.

Bombardement de nuit dans la région de Peronne ( France ).

Jeudi 16 mai :

Nous nous retrouvons à 1.500 jeunes à la gare de Douai. Une rame de wagons à bestiaux stationne en gare. Nous embarquons, 25 par wagon avec vélo et bagages. Je dois vous dire que l'espace qui nous est réservé est plutôt réduit!

Il est 15h, le train démarre. Dieu seul connait notre destination. Nous roulons la plupart du temps la nuit.

Vendredi 17 mai :

Amiens ; arrêt du train dans un bois, encombrement des voies par les trains militaires qui montent vers le front.

Mercredi 2 mai :

Après six longues nuits entrecoupées de faux départs, d'arrêts occasionnés par divers motifs, nous arrivons à destination. Nous sommes au fin fond de la France. Nous qui n'avions jamais quitté notre région, nous nous tetrouvons à Nîmes.. Nous sommes encore plus ou moins 400 jeunes.

Jeudi 23 mai :

Sous un soleil de plomb, les responsables nous expédient à vélo à Générac, c'est là que nous établissons nos quartiers.

Vendredi 24 mai :

Nous logeons au-dessus d'une remise sur le plancher chez :

Mr Boissonat André, négociant en vins

Rue des Glacières à générac ( France ).

Nous faisons connaissance avec un lavoir public pour faire notre lessive, avec du savon de Marseille!

Mardi 28 mai :

Lever à 5h, nettoyage et pansage des chevaux, déjeuner à 7h. Le travail dans les vignes s'effectue de 8h à 12 et de 14 à 18h.

Samedi 1er juin :

dîner de midi...une première pour nous - nous mangeons des escargots!!! Nous recevons chacun 72 francs.

Lundi 3 juin :

Nous logeons chez Léonce Etienne, négociant et viticulteur à Générac. Notre travail journalier consiste à laver les tonneaux à vin, travailler aux vignes, les sulfater.  Le travail est pénible à cause de la chaleur intense qui règne sur les côteaux.

Pour la nourriture, les menus qui nous sont proposés diffèrent de notre quotidien habituel. C'est ainsi que nous découvrons : escargots, lentilles, pêches, melons et chocolat à l'eau. Nous faisons aussi la connaissance des...sanguinaires moustiques!

Mes parents ayant eu la bonne idée de mettre mes outils de coiffeur dans ma valise, je suis sollicité par l'équipe!

Samedi 15 juin :

Je touche 120frs, le travail est terminé, les expéditions de vins sont finies.

Dimanche 16 juin :

Les hommes de 20 à 45 ans doivent aller camoufler le port de Toulon.

La vie " à la française s'organise...Jean continue à écrire dans son journal le résumé de ses journées.

Nous pouvons y lire :

Le 19 juin, nous dcouvrons les adresses des Grand-Leeziens, qui séjournent dans la région.

Mercredi 26 juin :

Le soir, nous avons joué aux catres et siroté "l'apéro", du Cointreau à..3frs le verre!

Dimanche 7 juillet :

Notre retour au pays est envisagé par les autorités...contrôle d'identité et formulaires.

Mercredi 10 juillet :

4h du matin, départ à vélo pour rendre visite à Georges Debois à Canet. à St Brès : nous rencontrons des soldats ( 2ème chasseur ) de Ligny, Bothey et Spy.

Dimanche 21 juillet :

Messe à l'occasion de la fête nationale belge.

Lundi 22 juillet :

reçu solde de 21 frs pour la période du 1 au 21 juillet.

Jeudi 1er août :

Beaucoup de vermine dans notre chambre. Il faut enlever la paille, désinfecter les murs, le plancher et l es couvertures!

Samedi 10 août :

Le commandant annonce notre départ pour lundi dans le courant de la journée.

Lundi 12 août :

Retour par train de voyageurs au départ de la gare Vauvert. Premiers contacts avec les allemands à la ligne de démarcation ( Vierzon ). Contrôle de papiers...premières grosses frayeurs.

Jeudi 15 août :

Enfin...arrivée au Quartier Léopold à Bruxelles.

Ici se termine un court apercu de mon périple au cours des trois premiers mois de guerre. Je referme ce journal avec l'espoir que nous connaîtrons bientôt la paix et la liberté.

Cette liberté que beaucoup de nos compatriotes ont défendue avec énormément de courage...trop souvent au détriment de leur vie...malheureusement!

Source : CN60

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